Critique de l’évaluation des politiques publiques

Rédigé le 07/05/2024
zinfos974

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- Courrier des lecteurs -

Le mot à la mode est désormais l’évaluation des politiques publiques. L’ancien Commissariat au Plan a disparu pour être remplacé par ‘France Stratégies’, dont l’objectif principal est de développer une culture de l’évaluation des politiques publiques en France, considérée comme en retard par rapport aux autres grands pays occidentaux. Les décideurs politiques ou administratifs, les financiers, le Trésor, la CDC, l’AFD ont très souvent ce seul mot à la bouche.

Je vais avoir un regard essentiellement négatif sur cette notion d’évaluation des politiques publiques, pour les mêmes raisons qui me conduisent à rejeter l’économie expérimentale du docteur Esther Duflo et consorts. Parce que l’expérimentation telle qu’elle est conçue par ces gens-là n’a au fond aucun sens en économie ou en politique publique.

Le Commissariat général au Plan, ou planification à la française, avaient un objectif noble et grandiose. Fondé en 1946 par le général de Gaulle, il visait à faire de la France une grande puissance mondiale. Les plans sont tous à l’origine des plus grandes réalisations de la France. Ils reposent sur l’idée que le secteur privé ne peut pas seul, sur la base de décisions purement financières, de maximisation des profits attendus, décider de ce qui est bon pour la France, de ce qui est bon pour les citoyens français. Si on avait évalué de manière exante l’énergie nucléaire et les centrales nucléaires, aurait-on mis en œuvre une politique nucléaire civile de production d’électricité en France ? Non si on avait convenablement anticipé les coûts de désinstallation des installations nucléaires, de la gestion des déchets nucléaires ou des risques de catastrophes nucléaires. Il en va de même d’autres grandes réalisations françaises comme le train à grande vitesse, le Concorde ou Airbus. En regard de la condamnation de la participation de l’aviation civile aux émissions de gaz à effet de serre, si l’évaluation des politiques publiques étaient capables d’appréhender convenablement les enjeux du futur, aucune de ces grandes réalisations de la planification à la française n’auraient vu le jour, n’auraient été mises en œuvre. Et la France ne serait pas une grande puissance nucléaire ni économique. Et même la production de vin n’y aurait pas été autorisé, générateur d’externalités négatives comme l’alcoolisme.

Autrement dit, nos dirigeants actuels qui ont transformé le Commissariat Général au Plan en ‘France Stratégie’, qui impulsent cette culture de l’évaluation des politiques publiques, ne font que généraliser au fond le calcul économique de la maximisation des profits à l’aire publique. Qu’est-ce qui différencie le capitalisme de cette mesure d’évaluation des politiques publiques ? La prise en compte des externalités positives ou négatives pour la collectivité ? Ces mêmes externalités qui ne feront normalement jamais l’objet d’une prise en compte pour le capitalisme privé ? Ce qui est d’ailleurs faux. Une bonne prévision capitaliste devrait prendre en compte les externalités négatives potentielles d’un projet, à travers les risques potentiels de taxation ou de condamnation qui en découlerait. Et il est également clair que des grandes entreprises comme les GAFAM défendent, font la promotion, permettent le développement d’externalités positives comme l’accès à la formation et à la culture, à la santé, voire le combat contre l’illectronisme et l’illettrisme.

Cela a-t-il donc un sens de rendre obligatoire, de promouvoir l’évaluation des politiques publiques alors que le capitalisme lui-même prend en charge les mêmes demandes, les mêmes objets. Pourquoi copier le privé et ses méthodes d’évaluation ? Pour rendre acceptables les politiques publiques ? Mais pour qui, aux yeux de qui ? Pour les citoyens ? Ou pour les décideurs politiques pour la plupart issus du monde du privé, de la Finance, afin que ceux-ci comprennent et acceptent la mise en œuvre de politiques publiques qui se doivent d’être efficientes aux yeux de leurs propres critères d’évaluation ? Afin que l’action publique ressemble au monde des entreprises, parce que l’entreprise et ses obligations d’efficience et de rentabilité serait un summum indépassable ?

Je reste pour ma part persuadé qu’une politique publique n’a pas obligatoirement à être efficiente. Comme en économie expérimentale à la Duflo, tout le monde sait qu’une personne qui recoit une aide financière s’en sortira mieux que celles qui ne reçoivent rien. Nul besoin de le mesurer comme l’économie expérimentale cherche à le faire. De la même manière, toute politique publique qui sert une prestation sociale à des personnes réduit leur misère et les aide. Certains sont évidemment persuadés que l’absence de cotisations chômage inciterait les chômeurs à retrouver beaucoup plus vite un travail, alors que le versements de prestations chômage réduit probablement l’urgence de cette recherche. Mais la réduction de la misère des chômeurs ? Mais la réduction de la toute-puissance des patrons et la misère plus grande qui en découlerait pour les ouvriers otages des patrons ? Tout cela n’est pas mesurable ni chiffrable. Mesurer une politique publique en terme de rapidité à retrouver un boulot reviendrait à ignorer la misère et la pression vécue par les salariés.

Néanmoins, malgré cette entrée en matière assez négative, je ne considère pas forcément toute forme d’évaluation des politiques publiques comme inintéressante. Une forme d’évaluation dite socio-économique est d’ailleurs obligatoire pour tous les investissements de l’Etat et de ses établissements publics dès lors que les financements publics de l’Etat de ces investissements dépassent 20 millions d’euros depuis 2012 (cf. article 17 de la loi n° 2012-1558 du 31 décembre 2012 et décret n° 2013-1211 du 23 décembre 2013). Ce type d’évaluation obligatoire ne concerne néanmoins pas encore les investissements des collectivités locales.

De toute façon, ces évaluations extrêmement précises des politiques publiques et des investissements de l’Etat n’empêchent pas l’Etat et ses satellites de conclure des marchés sous forme d’octroi de concessions, de partenariats publics privés, au bénéfice de grands groupes du bâtiment, de l’industrie ou de la Finance, qui se révèlent souvent catastrophiques et ruineux pour la collectivité nationale. Les mêmes qui imposent et veulent généraliser les méthodes d’évaluation des politiques publiques sont aussi ceux qui proposent et vendent ses satanés partenariats publics-privés qui enrichissent le secteur privé et ruinent les contribuables et les citoyens.

Quel est donc la finalité de cette fixation sur les évaluations des politiques publiques ? Professionnaliser le métier d’homme politique et de fonctionnaire de l’Etat ? Que plus rien ne les différencie des dirigeants que l’on trouve dans le monde de l’entreprise et des multinationales ? Faire croire aux citoyens lambda que dans un monde où les finances et les ressources sont limitées, d’accès restreint, il faut mesurer et vérifier la rentabilité de chaque politique publique pour privilégier les plus efficaces, les plus efficientes ? Quitte à rendre plus visible la limitation des ressources financières des collectivités réunionnaises en remettant en cause la manne financière de l’octroi de mer ?

Saucratès